vendredi 21 janvier 2022

LE MAITRE DU HAUT CHATEAU DE PHILIP K. DICK : LA DOUBLE UCHRONIE

 




uchronie

nom féminin

(du grec ou, non, et khronos, temps)

  • Reconstruction fictive de l'histoire, relatant les faits tels qu'ils auraient pu se produire

 Philip K. Dick

Le maître du haut château

Auteur : Philip K. DICK
La première édition  en poche aux éditions J'AI LU (illustration Tibor CSERNUS)


Postface : Laurent Queyssi

  • Traduction (Anglais) : Michelle Charrier

LITTÉRATURE ÉTRANGÈRE

Les iconiques (n° 13255), Littérature étrangère

Paru le 02/06/2021

Couverture de l'édition originale de 1962
 

2022, marque une date pour les amateurs de littérature de l’Imaginaire ! Le quarantième anniversaire de la disparition de Philip K. DICK, l’un des plus emblématiques de sa génération. Celui qui reste, pour moi, un des premiers à avoir fait « voler en éclat » le classicisme de mes lectures d’alors, avec Farmer. On était loin des univers de Van Vogt ou Jack Vance. On peut dire aussi qu'il s'agit des 60 ans de la sortie du titre qui va révéler véritablement K. DICK au grand public.

« J’AI LU » a prévu de rééditer la quasi-totalité des titres de son catalogue jusqu’à la fin de cette année, soit 27 titres, je crois. Certains titres voyant même une révision de leurs traductions, à commencer par UBIK en février prochain.

Je voudrai évoquer un titre sorti en 2021 sous la couverture du label « Les Iconiques préférés des libraires » et prévu à nouveau en sortie en mars 2022 !


LE MAITRE DU HAUT CHATEAU est un ouvrage dont j’ai tenté la lecture en son temps avec le volume de la prestigieuse collection du Club du Livre d’Anticipation des éditions OPTA, en 1970, associé au DOCTEUR BLOODMONEY. La traduction d’alors était de Jacques PARSONS, illustration intérieure de Wojtek Siudmak.


Hélas, lecture sans lendemain dans ma mémoire. Et voilà DICK qui revient sur le devant de la scène. Occasion rêvée (ou cauchemardée) d’entreprendre à nouveau la lecture du prix Hugo 1963 !

Résumé 4ème de couverture : « C'est en 1947 qu'avait eu lieu la capitulation des Alliés devant les forces de l'Axe. Cependant que Hitler avait imposé la tyrannie nazie à l'est des États-Unis, l'ouest avait été attribué aux Japonais.

Aujourd'hui, quelques années plus tard, la vie avait repris son cours normal dans la zone occupée par les Nippons. Ceux-ci se mon­traient des maîtres fermes mais corrects. Ils avaient apporté avec eux l'usage du Yi-king, le livre des transformations, le célèbre ora­cle chinois dont l'origine se perd dans la nuit des temps. Sa consul­tation permettait de régler toutes les affaires, qu'elles soient com­merciales, politiques ou même sen­timentales.

Pourtant, dans cette nouvelle civili­sation, une rumeur étrange cir­culait. Un homme vivant dans un Haut Château, un écrivain de science-fiction, avait écrit un ou­vrage qui racontait la victoire des Alliés en 1945... »

                     Je me suis immergé, enfin, dans cette double uchronie rédigée dans une cabane, alors que la vie de son auteur n’avait rien de folichon. Je renvoie à cette évocation l’ouvrage de Emmanuel Carrère - JE SUIS VIVANT ET VOUS ÊTES MORTS – PHILIP K. DICK 1928/1982 aux éditions du Seuil (1993). Chapitre 6 – Tchoung Fou, la vérité intérieure (pages 76 à 92).


                              Tout d’abord, ce qui m’a troublé, au-delà du parti pris de l’aspect historique « cohérent » de la défaite de l’Axe à la fin de la Seconde guerre mondiale, c’est l’omni présence de deux ouvrages, dont un bien réel, le YI-KING Le Livre des Transformations. Ce livre, que j’ai possédé, trouvé chez un bouquiniste du Mans, a croisé mes lectures avec mes trois pièces jetées sur mes questionnements existentiels d’alors. Sa couverture jaune figura longtemps sur mes étagères avant de disparaître dans un vide-greniers.


DICK, lui, aurait laissé à ses prédictions le soin d’orienter son texte, après questionnement.

L’autre ouvrage, fictif mais si réel, est celui d’un certain Abendsen Hauwthorne, « Le poids de la sauterelle » (j’ai aussi trouvé la traduction « La sauterelle pèse lourd »)- Son titre provient d'une citation de l'Ecclésiaste (12:5) : « et les sauterelles deviendront un fardeau ». Cet ouvrage, circulant sous le manteau, est considéré subversif par les services secrets allemands qui souhaite éliminer son auteur… Car il aborde une autre « histoire » (nouvelle uchronie) où les américains auraient gagné la guerre et battu les Allemands .



L’histoire du roman est centrée géographiquement sur une Amérique du Nord (les Etats-Unis plus précisément), partitionnée, entre l’Est occupé par les Allemands et l’Ouest occupée par les Japonais. Elle suit un certain nombre de personnages qui ne se rencontreront jamais. Pourtant, par leur activité quotidienne, ils permettent la progression de la narration. Afin de mieux appréhender le contexte historique de « cette époque » et les enjeux de la désignation d’un nouvel homme fort en Allemagne. Marchands, « faussaires » d’artefacts emblématiques de l’histoire américaine d’avant la guerre. A des titres divers, ils ont connaissance des divers ouvrages « Le poids de la sauterelle » et le Yi-King.

DICK y glisse un objet « magique », un bijou (à l’époque, il s’était reconverti à la fabrique de bijoux pour subvenir aux dépenses du ménage), seule anomalie et renvoi à l’Imaginaire. Un portail qui projette son propriétaire vers une autre réalité alternative, la nôtre, au début des années 1960.

« … Le triangle étincelait pourtant au soleil dont il reflétait le brasier… Soumets-toi, ordonna-t-il au triangle ? Révèle-moi ton secret d’arcane… Le petit objet posé dans sa paume frétillait, l’éblouissait ; il plissa les yeux, car il ne voyait plus à présent que la danse du feu… » Extrait

L’intrigue, une suite de « hasards » aurait pu être ennuyeuse. Il n’en est rien ! L’art de la narration de DICK en phrases assez courtes, le naturel et la diversité de ses personnages, amènent le lecteur à évoluer aisément dans ce monde. On se prend au jeu de l’écrivain qui écrit sur un double de lui-même. Les « hasards » étant dus à une succession de jets de pièces, et l’interprétation des hexagrammes qu’en aurait faits DICK, devenu une sorte de pythie avec ses oracles.

C’est folie, pensez-vous ? Qui sait, si vous, moi, ne sommes pas un peu fou  ! Ou « mort », qui sait !

LE MAITRE DU HAUT CHÂTEAU est un objet littéraire (avec le temps de cette relecture, je me suis mis à en apprécier l'originalité grâce à des lectures parallèles), un artéfact venu d’une réalité à laquelle notre conscience n’a pas encore accédé. Les conjectures sont nombreuses et révèlent un peu de l’état d’esprit du DICK du moment. Un manipulateur (et créateur de bijoux), un mentaliste qui nous hypnotise pour mieux nous perdre définitivement. A moins que ce soit un DICK qui commence à perdre pied avec sa réalité… Les romans qui vont suivre vont accentuer cette douloureuse fuite en avant. 

Cette édition de 2021 est suivie par une Posface de Laurent QUESSI, accompagnée des deux premiers chapitres d'une suite qui ne verra jamais le jour.



 

Adaptation récente. La série est produite par Ridley SCOTT



2 commentaires:

  1. Van Vogt fut traduit par Boris Vian, je dis cela pour resituer dans le temps, K Dick est un monument énigmatique qui interroge toujours notre époque..

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  2. Tu as raison même si Vogt date plus du début des années 50. L'ambition était tout autre à l’epoque. Avec la guerre froide en contre point. J'étais plus sur ce type de romans et des auteurs de la collection Anticipation du Fleuve Noir.
    J'ai vu que Vian a aussi traduit du Chandler !
    Merci de ton retour sur mes modestes chroniques.

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