mardi 30 mars 2021

LES CHRONIQUES D'ARRAKIS SAVOURE "LA QUETE ONIRIQUE DE VELLIT BOE"

 


La quête onirique de Vellitt Boe

Auteur : Kij JOHNSON

Kij JOHNSON


Traduction (Anglais) : Florence Dolisi

Editeur : J’AI LU Imaginaire (n° 12994), Fantasy

Paru initialement aux éditions LE BELIAL





Paru le 30/09/2020

Prix : 7€40

« Kij Johnson a un don sans pareil pour rendre l'irréel réel et le réel irréel. » Ursula K. Le Guin

 

4ème de couverture

  « Vellitt Boe a raccroché sa pèlerine et son bâton de marche il y a longtemps pour embrasser une carrière académique au Collège des femmes d’Ulthar. À l’automne de sa vie, la voilà cependant contrainte d’arpenter à nouveau les Contrées du rêve : Clarie Jurat, l’une de ses plus brillantes élèves, a disparu en compagnie, dit-on, d’un homme du monde de l’éveil. Ses pas la conduiront jusqu’à Celephaïs et par-delà la Mer cérénarienne, où son chemin croisera celui d’un certain Randolph Carter… »

 

Extrait de la nouvelle « Les chats d’Ulthar » de H.P. LOVECRAFT (Night Ocean-Editions DENOËL, traduction de Jean-Paul MOURLON

"On dit à Ulthar, qui se trouve au-delà de la rivière Skai, nul n’a le droit de tuer un chat ; ce que je comprends, en vérité, quand j’en observe un qui ronronne, couché devant le feu. Car le chat est un animal mystérieux, familier de choses étranges que les hommes ne peuvent pas voir. Il est l’âme de l’ancienne Egypte, le détenteur de récits venus des cités perdues d’Ophir et de Méroé ; le parent des seigneurs de la jungle, l’héritier des secrets de la séculaire et sinistre Afrique, et le cousin du Sphinx, dont il parle la langue ; mais plus vieux que lui, il se souvient de choses que le Sphinx a oublié… »

 

Quel étrange équipage celui formé par Vellit Boe et le chat, à parcourir le monde des rêves avec ses paysages familiers au lecteur de Lovecraft, rencontrer ses dieux endormis pouvant se réveiller à tout moment et provoquer leur ire infernale, évoquer ses créatures fantastiques.

Extrait : « … Les zoogs firent irruption dans la clairière, et elle les vit enfin pour de bon : une kyrielle de créatures brunes à la silhouette indistincte dotée de longs membres articulés qui lui arrivaient à hauteur du genou. Elles se déplaçaient en sautillant sur quatre pattes. Leurs yeux jaunes, des yeux de prédateurs affamés, brillaient quand elles se ruèrent sur leur proie."  
 

Ki JOHNSON promène son lecteur à travers des contrées connues des amateurs de fantastique. Une course poursuite qui emmènera notre « globe trotteuse » et son improbable compagnon vers le monde de l’éveil et sa réalité si familière. Personnellement, je goûte cet univers ; il fascine autant qu’il effraie. Et on sent le plaisir de Kij JOHNSON à nous guider dans cette évocation d’un gothique malsain. Roman court en pagination mais dense en action et évocation d’un monde si familier qui répugne tout à la fois. Il ne devrait pas décevoir son promeneur visuel… Le seul bémol dans la présente édition, ce sont les illustrations de Nicolas FRUCTUS de l'édition originale française qui manquent. Elles accompagnaient magnifiquement le texte surtout le chat !



Pour les autres, un coup d’œil sur les propos recueillis par Erwann PERCHOC en fin de volume, donnera les pistes de l’autrice pour en venir à l’écriture du présent volume et s’intéresser au monde de Lovecraft, démythifier aussi ce visionnaire du fantastique dont anthologies et biographies viennent de sortir.

Quête initiatique au coeur d'une des plus fascinantes créations d'H.P. Lovecraft, récit hommage à la mythologie du Maître de Providence, mais aussi réflexion aiguisée et sans concession sur la place des femmes dans l'une des oeuvres fantastiques majeures du XXe siècle, La Quête onirique de Vellitt Boe réussit l'improbable mariage du vertige de l'émerveillement avec la critique sociale acerbe.

 

Un précédent roman que je vous recommande !

 

 

 

 


dimanche 21 mars 2021

"UN SOUVENIR NOMME EMPIRE", COUP DE COEUR DU MOIS POUR LES CHRONIQUES D'ARRAKIS

 


UN SOUVENIR NOMME EMPIRE - TEIXCALAAN 1 (Prix HUGO 2020)

Auteur : Arkady MARTINE (AnnaLinden WELLER)

Traduction : Gilles GOULLET

Editions J’AI LU, collection NOUVEAUX MILLENAIRES

500 pages, 23 €

Couverture : Jaime JONES

 

Arkady MARTINE

Résumé 4ème de couverture

  « Yskandr, l’ambassadeur de Lsel en poste dans la capitale de l’empire teixcalaanli, est mort. Sa remplaçante, la jeune Mahit Dzmare, part avec un handicap : la puce mémorielle censée lui fournir tous les souvenirs de son prédécesseur est défectueuse, la laissant démunie face à une société complexe dont elle a du mal à appréhender les codes. Elle peut cependant compter sur l’aide de Trois Posidonie, sa chargée de mission pleine de ressources, pour la guider parmi les intrigues et les chausse-trappes de la politique teixcalaanlie. Mais plusieurs questions demeurent : qui a tué Yksander, et pourquoi ? Risque-t-elle le même sort ? »

A toi, lecteur d’Imaginaire, le risque est grand de ne pouvoir entrer dans l’intrigue du roman d’Arkady MARTINE. Et cela serait bien dommage de rester à la surface de l’intrigue, de ne pas aller au-delà des us et coutumes décrites dans ce roman foisonnant, avec beaucoup de détails, parfois curieux.

 La société Teixcalaanli, hégémonique, est complexe ; elle règne sur un vaste empire galactique, reposant sur sa force militaire, sa technologie des navires intersidéraux et sa culture !

Elle est très orgueilleuse, regardant les représentants des autres planètes avec un mépris condescendant.

C’est dans ce « monde » qu’arrive une « Candide », Mahit Dzmare, déléguée en catastrophe de son planetoïde pour devenir la nouvelle ambassadrice suite au décès brutal de son prédécesseur. Las, ce dernier n’a pas remis les pieds sur son monde natal depuis 15 ans et n’a pu, de ce fait, réactualiser son Imago (puce mémorielle avec toutes les informations acquises durant son mandat). Car c’est ainsi que les habitants de Lsel acquièrent les connaissances nécessaires à leur survie notamment les pilotes de vaisseaux spatiaux durant leurs déplacements vers les contrées éloignées de cette galaxie.

Extrait :

« … Trois mois ne suffisaient à personne pour une intégration correcte. Yskandr et elle étaient censés avoir eu une année complète pour croître l’un en l’autre, pour qu’elle absorbe tout ce qu’il savait et pour qu’il se dissolve, passe d’une voix dans son esprit à une deuxième opinion instinctive. Un an avec des pratiques de méditation, des séances de thérapie, des contrôles médicaux, et elle n’avait rien de tout cela ici, à l’endroit où elle avait toujours voulu être… »

 

Mahit Dzmare se retrouve greffée d’un « Imago » obsolète mais fonctionnel. Qui tombe « en panne » lors de son arrivée sur la planète Teixcalaan.  Elle, qui sort tout juste de ses études universitaires théoriques sur la culture teixcalaanli, avance en terrain non connu. Heureusement, se tient à ses côtés la jeune Trois Posidonie qui ne manque pas de la guider dans des arcanes déconcertants !

 Sa « naïveté » et sa chance naturelle, vont lui permettre d’appréhender au mieux des institutions politiques et culturelles très différentes de celles apprises, des technologies nouvelles.

Toi, Lecteur, je reviens vers toi pour t’encourager à suivre notre jeune ambassadrice dans une quête improbable et notamment savoir pourquoi son prédécesseur a perdu la vie. Au-delà de la multiplicité des personnages rencontrés, de leur rang dans une société engoncée dans ses certitudes et son étrange rapport à la technologie, à la culture de la poésie. Tu vas découvrir alors qu’une telle société n’est pas la création fantaisiste d’une autrice en plein délire de création. Bien au contraire !   Née en 1985, Arkady Martine - de son vrai nom AnnaLinden Weller - est chercheuse et docteure en histoire arménienne et byzantine.

 Un petit peu d’Histoire oubliée aujourd’hui

Ce statut d’historienne pourrait-il expliquer les noms curieux de « Trois Posidonie », « Vingt-Quatre Roses », « Deux Taches Solaire », l’enfant « Huit Antidote » clone du vieil empereur « Six Direction » ! J’ai lu, ici et là, des critiques sur cette étrangeté. Ma curiosité m’a amené à lire une interview d’ARKADY MARTINE, en anglais, recueilli par Petra MAYER. Je cite « … Mais la véritable inspiration pour le système de dénomination des nombres-noms vient des pratiques de dénomination du peuple mixtèque d'Oaxaca, qui, comme de nombreux peuples mésoaméricains, ont été nommés pour le jour du cycle de 260 jours de l'année où ils sont nés: un cycle de treize nombres et vingt signes (animaux, plantes et phénomènes naturels). Teixcalaan a beaucoup d'influences mésoaméricaines, et choisir d'utiliser ce genre de nom m'a semblé vraiment approprié et spécifique des cultures auxquelles je faisais référence… ».

 

Elle explicitait son inspiration « … Je voulais penser aux empires axés sur la conquête, axés sur la guerre et le sacrifice, et cela m'a conduit au Mexica - la Triple Alliance des Aztèques… Le monde de Teixcalaan n'est pas Byzance, ni le Mexica, ni aucune des autres cultures que j'ai ajoutées, mais je voulais regarder en dehors de ce que je connaissais le mieux, voir avec quelles autres structures impériales une idéologie universalisante nous-sommes-le-centre-du-monde pourrait ajouter à mes conceptions de l'empire et de ses fonctions. Et aussi je voulais m'éloigner des éléments de la théologie chrétienne qui sont profondément ancrés dans l'impérialisme byzantin. »

 

Alors peu à peu s’éclaire le monde issu de l’imaginaire d’Arkady MARTINE. L’Histoire avec une grand « H ». Elle ose même ce rapprochement «  ... Mais plus important encore, il y a beaucoup d'impérialisme culturel américain dans la façon dont Teixcalaan se répand dans la galaxie. Ce n'est pas seulement une puissance militaire - c'est une puissance culturelle omniprésente. Incontournable, comme les films McDonald's et hollywoodiens. ».

 

Lecteur, tu es acteur maintenant des errements de Mahit Dzmare, son déracinement. L’écriture est suffisamment précise pour te permettre de visualiser les scènes, peut-être trop diront certains qui préfèrent une action soutenue au détriment de la psychologie des protagonistes. 

Personnellement, je ne déteste absolument pas ; j’aime que l’on me parle de telles société, fascination et intérêt pour les sociétés anciennes si mal connues !

J’attends maintenant de connaître la suite de ce dyptique à venir durant le second semestre 2021. Arkady MARTINE se réserve même la possibilité d’évoquer de nouvelles extensions littéraires dans l’univers de Teixcalaan.

La suite à venir !


Je vous recommande chaleureusement ce roman qui tranche sur bon nombre de productions bien moins ambitieuses ; il y a là une véritable originalité dans le ton, l’écriture « précieuse » et précise de ce monde, de sa cohérence aussi. Son charme qui se dégage page par page. En espérant, dans sa suite, un ensemble de textes explicitant les fondements de la création de « UN SOUVENIR NOMME EMPIRE ».

Extrait du discours d'Arkady MARTINE à l'occasion de la remise du prix HUGO 2020 pour son roman :  

"C’est un honneur particulièrement vif de recevoir ce prix pour mon premier roman - c’est une sorte de bienvenue. Une invitation à rester. Un geste d'hospitalité de votre part à tous. Un geste que j'apprécie profondément et que je souhaite si profondément...  aux auteurs, artistes, éditeurs et amateurs de couleurs qui méritent autant d'hospitalité que moi. A Memory Called Empire est en quelque sorte un livre sur l'inhospitalité d'une grande partie de l'univers: l'inhospitalité de la culture, des origines, du désir. L'attraction de l'exil et la contre-attaque de la domination. L'empire et ses bords; le couteau qui fait plus mal parce que vous l’aviez aimé avant de vous couper.

Je pense beaucoup à ce que signifie être le bienvenu dans un lieu. J'ai écrit un livre qui examine si quelqu'un peut vraiment être accueilli. Dans ce monde actuel - où nous sommes isolés par la maladie et par la corruption politique, où j'ai écouté toute la nuit la tension entre un passé plus simple idéalisé et un présent complexe, difficile et brillant - où toutes les lignes d'exil et le désir de familiarité sont dessinés de plus en plus serrés et douloureux - je ne suis toujours pas sûre de la réponse à cette question. Dans mon livre, j'ai laissé Mahit Dzmare avoir une version de la réponse: pour elle, être accueillie au cœur de l'empire, c'est perdre la capacité de vraiment rentrer chez elle dans son propre esprit. Pour moi, c'est en fait une réponse pleine d'espoir, pour moi - une personne qui ne peut pas arrêter d'écrire sur l'exil et sur le désir - qui est une Américaine,...,  une activiste climatique et une historienne, et qui ne cesse de tomber amoureuse des choses...." (traduction Google)


Post Scriptum de blog (si cela est possible) : J’ai lu des avis remettant en question l’attribution du prix HUGO à ce roman. Jetez donc un coup d’œil sur les nominées de 2020 dans la catégorie « roman » : que des écrivaines, je le souligne. Ce n’est pas si souvent ! Et les années précédentes, des ouvrages de qualité traduits en France, notamment dans cette collection « NOUVEAUX MILLENAIRES » et « J’AI LU » ; ainsi la trilogie de N. K. JEMISIN « Les Livres de la Terre Fracturée », Connie WILLIS « Black Out/All Clear », Anne LECKIE « Les Chroniques de Radch »… Un prix, quel qu’il soit, est toujours un guide pour le lecteur curieux.