UN
SOUVENIR NOMME EMPIRE - TEIXCALAAN 1 (Prix HUGO 2020)
Auteur : Arkady MARTINE (AnnaLinden WELLER)
Traduction : Gilles GOULLET
Editions J’AI LU, collection NOUVEAUX MILLENAIRES
500 pages, 23 €
Couverture : Jaime JONES
Résumé 4ème de couverture
« Yskandr, l’ambassadeur de Lsel en poste dans la capitale de l’empire teixcalaanli, est mort. Sa remplaçante, la jeune Mahit Dzmare, part avec un handicap : la puce mémorielle censée lui fournir tous les souvenirs de son prédécesseur est défectueuse, la laissant démunie face à une société complexe dont elle a du mal à appréhender les codes. Elle peut cependant compter sur l’aide de Trois Posidonie, sa chargée de mission pleine de ressources, pour la guider parmi les intrigues et les chausse-trappes de la politique teixcalaanlie. Mais plusieurs questions demeurent : qui a tué Yksander, et pourquoi ? Risque-t-elle le même sort ? »
A toi, lecteur
d’Imaginaire, le risque est grand de ne pouvoir entrer dans l’intrigue du roman
d’Arkady MARTINE. Et cela serait
bien dommage de rester à la surface de l’intrigue, de ne pas aller au-delà des
us et coutumes décrites dans ce roman foisonnant, avec beaucoup de détails,
parfois curieux.
La société Teixcalaanli, hégémonique, est
complexe ; elle règne sur un vaste empire galactique, reposant sur sa force
militaire, sa technologie des navires intersidéraux et sa culture !
Elle est très
orgueilleuse, regardant les représentants des autres planètes avec un mépris
condescendant.
C’est dans ce
« monde » qu’arrive une « Candide », Mahit Dzmare, déléguée
en catastrophe de son planetoïde pour devenir la nouvelle ambassadrice suite au
décès brutal de son prédécesseur. Las, ce dernier n’a pas remis les pieds sur
son monde natal depuis 15 ans et n’a pu, de ce fait, réactualiser son Imago
(puce mémorielle avec toutes les informations acquises durant son mandat). Car
c’est ainsi que les habitants de Lsel acquièrent les connaissances nécessaires
à leur survie notamment les pilotes de vaisseaux spatiaux durant leurs
déplacements vers les contrées éloignées de cette galaxie.
Extrait :
« … Trois mois ne suffisaient à personne pour une intégration correcte. Yskandr et elle étaient censés avoir eu une année complète pour croître l’un en l’autre, pour qu’elle absorbe tout ce qu’il savait et pour qu’il se dissolve, passe d’une voix dans son esprit à une deuxième opinion instinctive. Un an avec des pratiques de méditation, des séances de thérapie, des contrôles médicaux, et elle n’avait rien de tout cela ici, à l’endroit où elle avait toujours voulu être… »
Mahit Dzmare se
retrouve greffée d’un « Imago » obsolète mais fonctionnel. Qui tombe
« en panne » lors de son arrivée sur la planète Teixcalaan. Elle, qui sort tout juste de ses études
universitaires théoriques sur la culture teixcalaanli, avance en terrain non
connu. Heureusement, se tient à ses côtés la jeune Trois Posidonie qui ne
manque pas de la guider dans des arcanes déconcertants !
Sa « naïveté » et sa chance
naturelle, vont lui permettre d’appréhender au mieux des institutions
politiques et culturelles très différentes de celles apprises, des technologies
nouvelles.
Toi, Lecteur, je
reviens vers toi pour t’encourager à suivre notre jeune ambassadrice dans une
quête improbable et notamment savoir pourquoi son prédécesseur a perdu la vie.
Au-delà de la multiplicité des personnages rencontrés, de leur rang dans une
société engoncée dans ses certitudes et son étrange rapport à la technologie, à
la culture de la poésie. Tu vas découvrir alors qu’une telle société n’est pas
la création fantaisiste d’une autrice en plein délire de création. Bien au
contraire ! Née en 1985, Arkady
Martine - de son vrai nom AnnaLinden Weller - est chercheuse et docteure en
histoire arménienne et byzantine.
Ce statut d’historienne
pourrait-il expliquer les noms curieux de « Trois Posidonie »,
« Vingt-Quatre Roses », « Deux Taches Solaire », l’enfant
« Huit Antidote » clone du vieil empereur « Six
Direction » ! J’ai lu, ici et là, des critiques sur cette étrangeté.
Ma curiosité m’a amené à lire une interview d’ARKADY MARTINE, en anglais,
recueilli par Petra MAYER. Je cite « … Mais la véritable
inspiration pour le système de dénomination des nombres-noms vient des
pratiques de dénomination du peuple mixtèque d'Oaxaca, qui, comme de nombreux
peuples mésoaméricains, ont été nommés pour le jour du cycle de 260 jours de
l'année où ils sont nés: un cycle de treize nombres et vingt signes (animaux,
plantes et phénomènes naturels). Teixcalaan a beaucoup d'influences
mésoaméricaines, et choisir d'utiliser ce genre de nom m'a semblé vraiment
approprié et spécifique des cultures auxquelles je faisais référence… ».
Elle explicitait son inspiration « … Je voulais penser aux empires axés sur la conquête, axés sur la guerre et le sacrifice, et cela m'a conduit au Mexica - la Triple Alliance des Aztèques… Le monde de Teixcalaan n'est pas Byzance, ni le Mexica, ni aucune des autres cultures que j'ai ajoutées, mais je voulais regarder en dehors de ce que je connaissais le mieux, voir avec quelles autres structures impériales une idéologie universalisante nous-sommes-le-centre-du-monde pourrait ajouter à mes conceptions de l'empire et de ses fonctions. Et aussi je voulais m'éloigner des éléments de la théologie chrétienne qui sont profondément ancrés dans l'impérialisme byzantin. »
Alors peu à peu s’éclaire le monde issu de l’imaginaire d’Arkady MARTINE. L’Histoire avec une grand « H ». Elle ose même ce rapprochement « ... Mais plus important encore, il y a beaucoup d'impérialisme culturel américain dans la façon dont Teixcalaan se répand dans la galaxie. Ce n'est pas seulement une puissance militaire - c'est une puissance culturelle omniprésente. Incontournable, comme les films McDonald's et hollywoodiens. ».
Lecteur, tu es acteur maintenant des errements de Mahit Dzmare, son déracinement. L’écriture
est suffisamment précise pour te permettre de visualiser les scènes, peut-être
trop diront certains qui préfèrent une action soutenue au détriment de la
psychologie des protagonistes.
Personnellement, je ne déteste absolument pas ; j’aime que l’on me
parle de telles société, fascination et intérêt pour les sociétés anciennes si
mal connues !
J’attends maintenant de connaître la suite de ce dyptique à venir durant le
second semestre 2021. Arkady MARTINE se réserve même la possibilité d’évoquer
de nouvelles extensions littéraires dans l’univers de Teixcalaan.
Je vous recommande chaleureusement ce roman qui tranche sur bon nombre de
productions bien moins ambitieuses ; il y a là une véritable originalité
dans le ton, l’écriture « précieuse » et précise de ce monde, de sa
cohérence aussi. Son charme qui se dégage page par page. En espérant, dans sa
suite, un ensemble de textes explicitant les fondements de la création de
« UN SOUVENIR NOMME EMPIRE ».
Extrait du discours d'Arkady MARTINE à l'occasion de la remise du prix HUGO 2020 pour son roman :
"C’est un honneur particulièrement vif de recevoir ce prix pour mon premier roman - c’est une sorte de bienvenue. Une invitation à rester. Un geste d'hospitalité de votre part à tous. Un geste que j'apprécie profondément et que je souhaite si profondément... aux auteurs, artistes, éditeurs et amateurs de couleurs qui méritent autant d'hospitalité que moi. A Memory Called Empire est en quelque sorte un livre sur l'inhospitalité d'une grande partie de l'univers: l'inhospitalité de la culture, des origines, du désir. L'attraction de l'exil et la contre-attaque de la domination. L'empire et ses bords; le couteau qui fait plus mal parce que vous l’aviez aimé avant de vous couper.
Je pense beaucoup à ce que signifie être le bienvenu dans un lieu. J'ai écrit un livre qui examine si quelqu'un peut vraiment être accueilli. Dans ce monde actuel - où nous sommes isolés par la maladie et par la corruption politique, où j'ai écouté toute la nuit la tension entre un passé plus simple idéalisé et un présent complexe, difficile et brillant - où toutes les lignes d'exil et le désir de familiarité sont dessinés de plus en plus serrés et douloureux - je ne suis toujours pas sûre de la réponse à cette question. Dans mon livre, j'ai laissé Mahit Dzmare avoir une version de la réponse: pour elle, être accueillie au cœur de l'empire, c'est perdre la capacité de vraiment rentrer chez elle dans son propre esprit. Pour moi, c'est en fait une réponse pleine d'espoir, pour moi - une personne qui ne peut pas arrêter d'écrire sur l'exil et sur le désir - qui est une Américaine,..., une activiste climatique et une historienne, et qui ne cesse de tomber amoureuse des choses...." (traduction Google)
Post Scriptum de blog (si cela est possible) : J’ai lu des avis remettant en question l’attribution du prix HUGO
à ce roman. Jetez donc un coup d’œil sur les nominées de 2020 dans la catégorie
« roman » : que des écrivaines, je le souligne. Ce n’est pas si
souvent ! Et les années précédentes, des ouvrages de qualité traduits en
France, notamment dans cette collection « NOUVEAUX MILLENAIRES » et
« J’AI LU » ; ainsi la trilogie de N. K. JEMISIN « Les
Livres de la Terre Fracturée », Connie WILLIS « Black Out/All
Clear », Anne LECKIE « Les Chroniques de Radch »… Un prix, quel
qu’il soit, est toujours un guide pour le lecteur curieux.
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